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Les Amap ne veulent pas se banaliser

Article de Claude Marie Vadrot paru dans Politis le 28 novembre 2009

mardi 8 décembre 2009

Les 5 et 6 décembre, des centaines d’acteurs des Amap se retrouvent dans la Drôme pour échanger leurs expériences. Le succès de ces associations bouleverse à la fois les modes de production et de consommation. Ces réseaux recréent aussi du lien social, au-delà des problèmes de l’agriculture paysanne.

« Ceux qui pensent qu’une Amap est juste une nouvelle façon de consommer se trompent. Il ne s’agit là que d’une conséquence de sa réussite, car cette innovation sociale dans la relation avec des producteurs vise d’abord à aider les exploitants agricoles à maintenir, comme son nom l’indique, l’agriculture paysanne, à aider des agriculteurs à vivre ou à survivre ; tout comme, pour un paysan, une Amap ne peut pas seulement être une autre façon d’écouler sa production. » Cofondatrice en 2005 (à la suite d’un colloque d’Attac et des Amis du Monde diplomatique auquel étaient venus assister quelques agriculteurs) de l’Amapp [1] du Gâtinais, qui essaime aujourd’hui dans tout le département du Loiret, Guylaine Goulfier insiste sur les fonctions sociales et politiques des Amap, sur la qualité des ­rencontres autour d’un nouveau lien social. Pour que son association, installée dans un village de 80 habitants, Cortrat, qui regroupe 270 adhérents, ne devienne pas ingérable en se transformant en entreprise de distribution de paniers, elle a éclaté en plusieurs lieux de la région.

Pour nombre de responsables rencontrés dans la région parisienne et ailleurs, les Amap doivent veiller à ne pas devenir de banals fournisseurs de produits alimentaires. Tous ceux qui gardent intacte l’idéologie d’un mouvement né en 2001 dans le Sud-Est sentent les dangers engendrés par l’engouement des consommateurs, qui pourraient oublier qu’ils doivent rester des consomm’acteurs.

Un souci partagé par Guylaine Goulfier et ses amis. Ils se réservent le droit de dire non à des producteurs souhaitant se joindre aux onze paysans qui les approvisionnent déjà, s’ils cherchent simplement une façon pratique d’écouler leurs produits : « À nos débuts, nous refusions tous les articles, toute publicité, pour être certains, pour les paysans et les consommateurs, que nous rassemblions bien des gens autour de principes d’échanges. Il ne s’agit pas de créer un “marché de producteurs” comme cela se fait parfois. Le résultat se révèle passionnant car nous avons ainsi réussi à secouer l’inertie de la région, nous sommes devenus un réseau qui sert à bien d’autres choses qu’à manger. Nous avons découvert un tissu associatif, des troupes de théâtre et des militants, nous avons réinventé des liens sociaux. Parce que, au moins une fois par semaine, des gens se rencontrent et se parlent. Il faut aussi que chaque sociétaire comprenne, suive les difficultés des paysans. C’est comme cela que nous avons contribué à sauver des exploitations de la faillite, incité des enfants à reprendre les fermes et à impulser la création de nouveaux emplois. Maintenant, nous sommes une force que l’on consulte. »

Toutes les interrogations sur la philosophie et le rôle des Amap, sur la nécessité de ne pas se muer subrepticement en un nouveau service de commercialisation, sur la vigilance à exercer envers la grande ou la petite distribution tentées de s’approprier discrètement des circuits parallèles se trouveront au cœur de la première réunion nationale des Amap, qui se déroulera les 5 et 6 décembre prochains à Anneyron dans la Drôme. Objectif des organisateurs, qui attendent plusieurs centaines de personnes : « Permettre d’échanger et de débattre sur la diversité des expériences, de mutualiser les idées et les outils, et de construire ensemble un mouvement interrégional. » Une rencontre dont l’idée a été lancée il y a dix-huit mois par Alliance Provence et progressivement relayée par des réseaux régionaux et départementaux. Tous soucieux de préserver les idéaux sociaux, politiques et éthiques d’origine et d’éviter les dérives toujours possibles. Il s’agit aussi de commencer à réfléchir sur la façon dont les Amap peuvent participer à l’accès au foncier pour les agriculteurs soucieux de s’installer ou d’agrandir leurs exploitations. Certaines associations réfléchissent aux moyens de négocier avec les Safer (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, sous le contrôle des ministères de l’Agriculture et des Finances) ou de lever des fonds pour acquérir des terres de maraîchage et des équipements. Dans le Gâtinais, l’Amap a récolté récemment 10 000 euros en quinze jours auprès de ses membres pour l’achat d’un four qui s’insérera dans une chaîne de production du pain, depuis la céréale bio jusqu’au boulanger en passant par le moulin.

Les exemples de ce type abondent, les Amap réussissant des intégrations de récolte et de production à l’écart des circuits habituels. Autre souci : comment faciliter la période de reconversion progressive de paysans désireux de se lancer dans le bio par conviction et pas uniquement par intérêt commercial ?

Bien que la charte des Amap prévoie une « production respectueuse de la nature, de l’environnement et de l’animal, de la biodiversité et d’une agriculture sans engrais ni pesticides chimiques de synthèse », tous les paniers proposés à travers le pays ne sont pas encore bios. Une clarification est donc souhaitable. Elle est également nécessaire sur les normes sociales, qu’il s’agisse des salariés ou des saisonniers. Ces thèmes devraient être abordés dans la Drôme, car l’autonomie d’un ou de plusieurs producteurs ne peut se bâtir sur une exploitation des travailleurs. Ce qui implique une transparence totale de part et d’autre, une Amap ne pouvant pas sans danger se constituer ou se transformer en une simple coopérative de consommation, puisque les uns et les autres doivent partager autant les avantages que les risques. Ces nouveaux rapports entre producteurs et consommateurs sont en cours d’invention depuis huit ans. D’où, probablement, la nécessité ressentie dans de nombreux départements de revoir les règles. Non pas, semble-t-il, pour les unifier, mais pour garantir qu’elles se réfèrent à la même éthique. Notes

[1] Le deuxième « p » signifie ici « de proximité ». Cette fantaisie visait au départ à signaler une volonté d’indépendance.

Mi-2009, la France comptait environ 1 200 Amap approvisionnant 60 000 familles.

En 2009, l’Île-de-France comptait 160 groupes Amap, pour 70 paysans, dont 40 maraîchers, et 6 000 familles de consommateurs.

Il existe entre 1500 et 1700 CSA (Community Supported Agriculture, équivalant aux Amap) aux États-Unis.

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